Sortez vos mouchoirs
On peut dire que j'ai vécu relativement longtemps pour un personnage dans mon genre : crée sur une impulsion, pas franchement travaillé ni particulièrement attachant. J'étais une création parmi tant d'autres, sans originalité ni talent. De plus, ma créatrice avait 9 ans, le style et la maturité allaient avec. Par conséquent, j'étais un personnage manichéen, orgueilleux, superficiel, et bien trop blanc pour être réaliste. Rien qui suscitait une folle passion, donc. Et pourtant, Dieu que j'ai apprécié avoir été sa muse et son centre d'attention durant toutes ces précieuses années! J'ai aimé assister aux premiers balbutiement de son amour pour l'écriture. J'aimais quand elle me décrivait. Dans chaque phrase, je sentais son admiration et sa tendresse. J'aimais être la protagoniste de l'histoire, j'aimais mener la danse. J'aimais porter les avatars qui témoignaient de la lente ascension des goûts esthétique de ma créatrice. Et même lorsque je tombais, lentement mais sûrement, dans l'abandon, sa nostalgie et sa tendresse à mon égard m'empêchaient d'être totalement en colère contre cette fille innocente, un peu bancale, qui m'avait donné la vie.
Finalement, j'ai connu mon heure de gloire, alors je n'ai pas trop à me plaindre. Cependant, tout personnage finit par devenir ennuyeux. Lorsqu'on a exploité toutes les facettes d'une personnalité, lorsqu'on a cerné les moindres réactions de cet être, on commence à s'en lasser, à vouloir en finir. Après tout, je devrai être reconnaissante d'avoir seulement existé. Mais je ne peux pas empêcher la nostalgie d'enflammer ma gorge. Je faisais partie d'une bande si fermée, si unie, et ça me rendait tellement heureuse. Un personnage solitaire ne vaut pas grand-chose, mais un personnage intégré et comblé représentait tellement! Me voilà seule. Le pire, c'est que même ma créatrice m'a désertée. Et maintenant, elle me donnait le coup de grâce.
Selon la tradition, je portais une longue robe blanche. Le narrateur était à quelques mètres derrière moi, si bien qu'il me voyait à contre-jour. La robe était assez ample, alors on distinguait l'ombre de ma silhouette entourée par ce halo de tissu immaculé, si cliché et tellement utilisé qu'il en devenait banal. C'était presque un automatisme que de lire " Whity portait une robe blanche ". Après tout, mon prénom même en était un présage. Ce n'était pas étonnant. Une vision de film américain, ou alors de conte de fées. Je préférais la seconde option. Je me trouvais dans l'endroit de RP préféré de ma créatrice, les montagnes Flödka. Elles portaient un nom à connotation un peu fantastique, celtique ou scandinave, et avait un aspect poétique qui nous remuaient un peu. Même si elle affectionnait ces montagnes et ce romantisme qu'elles lui inspiraient, c'était le premier message qu'elle postait dans cette partie. C'était un peu bizarre, peut-être. Et un peu trop tard. Mais au moins, elle s'est décidée.
Je me tenais droite et volontaire sur la plus haute montagne de la chaîne. Pour un dernier post, autant voir les choses en grand. Autour de moi, le contact mordant du vent, et un paysage vaste à n'en plus finir. J'étais en équilibre précaire sur un rocher, qui ne me semblait pas être un assez bon appui. Je faisais face à l'infini. Le vent fouettait mes joues, rendant mon teint plus frais encore qu'à l'accoutumée. Le soleil se couchait. La descente vers l'horizon était déjà bien entamée. Si j'avais baissé les yeux, j'aurai aperçu la fébrilité et la fureur de la rivière qui zigzaguait entre les montagnes Flödka. Mais pour garder mon air suffisant, je gardai les yeux héroïquement rivés sur l'horizon, promesse d'un avenir meilleur.
Je sais pas pourquoi j'ai dis ça. C'est trop cliché. Puis il y a pas d'espoir ni de promesses ici. Tout est très clair.
J'étais engourdie, ankylosée. J'avais du mal à être développée, à m'exprimer. Mais ce n'était pas bien important. Je balayais de mon regard ambré tout ce qui m'appartenait. Du moins, ce qui m'appartenait dans mon imagination. C'était un monde que je n'avais jamais eu la chance de partager avec un public étranger à mon cercle d'amis, mais là encore ce n'était plus très important. J'avais calmé mes ambitions démesurées et irréalistes - et savoir qui s'exprime, entre moi ou la créatrice, ce n'est pas primordial non-plus -.
Je me demandai où l'existence de mes consoeurs s'était stoppée. Hella, Mélodine, Ginger. Est-ce qu'elles accomplissaient, encore et toujours, inlassablement, la dernière action que leur créatrices avait écrite pour elles? Ou est-ce qu'elles s'étaient figées, comme glacées, dans une action qui ne se terminerait jamais? Étaient-elles tourmentées par une inquiétude qui ne serait jamais plus résolue? Ou peut-être étaient-elles en paix avec elles mêmes, conscientes d'avoir atteint leur point final?
Pour ma part, j'étais en apothéose. Perchée si haut, je me sentais terminée, finie. Bâclée, peut-être, mais je n'étais pas oubliée ou abandonnée. Ma créatrice témoignait de son attachement en m'accordant une dernière occasion de briller. Briller, oui, mais seule.
Soudain, je compris la raison de ma présence ici, perchée si haut. Je compris la présence de ce gouffre sous mes pieds. Je compris la beauté irréelle de ce paysage, qui ne pouvait présager qu'une fin triste et mélodramatique. Ce n'était pas le début, ce n'était pas le renouveau. Ce n'est pas le lever du soleil, dont on parle là. Sortez vos mouchoirs, car Whity va se suicider.
Du haut de ma montagne, je jetai un dernier coup d'oeil larmoyant aux alentours avant de me laisser tomber. Je ne me sentis jamais atterrir. Je ne sentis jamais le contact glacé de l'eau. Peut-être que le sang s'était accumulé trop vite et avait eu raison de mon cerveau de personnage principal. Ou peut-être que l'adrénaline avait fait exploser mes vaisseaux. Oui, ce serait agréable de finir son existence en une explosion rouge et terrifiante, à mi-chemin entre le ciel et la Terre, impressionnant point culminant de ma misérable existence. Le soleil termina tout à fait sa descente, et l'endroit plongea définitivement dans l'obscurité.
Whity est morte.